Pour la première pièce de Virginie Despentes, une création punk aux multiples personnages, mon choix créatif s’est porté sur la figure de l’hydre, l’Hydre WOKE, le Grand Méchant Monstre qui se cache sous le lit des réacs et des fachos.
Coupe l’une de nos têtes,
Nous reviendrons des millions.
J’ai eu la chance de dessiner l’affiche de la première pièce mise en scène par Virginie Despentes. Et c’est vraiment un projet tout particulier pour moi !
Quelques mots sur mon rapport à V.D. : être une ado queer à la fin des années 90, dans un milieu catho droite beauf, comment vous dire qu’on manque un peu de références auxquelles se raccrocher. Le féminisme n’existe nulle part dans le paysage, c’est un creux de la vague, la théorie queer n’a pas encore traversé l’Atlantique, internet balbutiant n’est pas encore la mine de ressources qu’il va devenir, on nage en plein désert de représentations et réflexions, et on est là bien paumée à 15 ou 17 ans dans un pavillon banlieue classe moyenne avec des parents homophobes.
Alors je prends le RER et je vais à Paris dans le Marais – il faut bien commencer quelque part. J’y trouve une librairie mythique mais ça je ne le sais pas encore, Les Mots à la Bouche. Solitaire j’y achète des romans aux titres attirants estampillés « nouvelle génération ». Parmi eux, il y a Baise-moi, d’une jeune écrivaine que je ne connais pas – c’était il y a 24 ans et King Kong Theory était encore loin.
Lire Baise-moi, dans ce contexte précis d’avoir 16 ans en plein vide féministe, c’est ma claque. La découverte d’un female gaze bien avant que le concept n’existe. Et quel gaze. Qui s’autorise en fiction ce qu’on n’accorde qu’aux mecs : la violence, et gratuite en plus, la crudité, le sexe sans importance, l’amitié indéfectible entre meufs. C’est pas un programme politique, c’est juste un récit cathartique qui m’explose la tête.
Le film du même nom sort quelques mois après ma lecture. Je suis tout le scandale, la tribune des offusqués, l’interdiction en salles, le retour du classement X, les cathos qui s’insurgent et la société réac avec eux. Je garderai de tout ce cirque la conviction qu’appeler à la censure ne sera jamais la bonne réponse parce qu’en réalité elle s’appliquera avant tout aux femmes et aux queers, bien avant de s’appliquer aux productions merdiques des mecs miso.
Je vais le voir en salle, dans le seul cinéma licence X de Paris, avec ma première meuf, j’ai 18 ans je crois. Il n’y a pas grand monde, un mec en pardessus quitte la salle avant la fin. La claque bis, un écho au roman, je montrerai ce film à un paquet de personnes dans les années qui suivront.
Plus de 20 ans après, mon amour pour le travail de Despentes est intact et je suis super fièrx de dessiner le visuel de sa pièce, co-écrite avec 3 auteurices tout aussi essentiel·les.